Nayla de Brahim Tazaghart

Ed. Tira, Bejaia, 2015, 153 pages

01-06-2017

Berbères et Arabes

Brahim Tazaghart est né près de Tazmalt dans la wilaya de Bejaia. Après Salas d Nuja (2004), Inig aneggaru (2013), il nous revient avec un nouveau roman: Nayla. Également auteur de recueils de poésies diverses, il a publié un essai en français, L’Algérie, entre craintes et espoirs, questionnements sur cinquante ans de lutte pour la démocratie (2012).

Portrait de Brahim Tazaghart
Brahim Tazaghart

Toujours est-il que Nayla, se déploie comme une pièce de théâtre. Il aurait pu être une tragédie grecque s’il s’était clôturé par une fin qui sied au genre. Mehdi qui est Kabyle et Nayla qui est « Arabe » (je mets entre guillemets pour qu’on ne la confonde pas avec une ressortissante du Moyen-Orient), vivent malgré l’adversité, une douce idylle car l’union entre les deux êtres semble dés le départ compromise. Les Kabyles ne se marient pas avec les Arabes ni avec les marabouts du cru… Nayla et Mehdi forment donc un couple promu à la dislocation dans une Algérie encore en proie à l’endogamie. Le texte qui donne l’impression d’interroger la société patriarcale, s’engage en réalité dans une voie tierce.

Les événements prennent naissance dans la bouche de personnages ou de substituts de ceux-ci : lettres et écrits, qui s’égrènent au fil des pages. Cette manière de raconter rappelle Tagrest urɣu (Hiver torride) d’Aɛmer Mezdad. Le texte jure avec le post-modernisme, jargon un peu pompeux qui s’applique à ce courant de pensée qui se réclame de l’éclectisme, du ludique, du bricolage et de la pratique du soupçon. Écrit dans un style incisif avec des phrases courtes, le roman sans cesse s’auto-dénonce, rappelant au lecteur qu’il n’est qu’une œuvre de papier. On retrouve cette même dénonciation de la fiction chez des écrivains maghrébins d’expression française, à l’exemple de Tahar Benjelloun avec La Nuit sacrée ou L’Enfant de sable.

L’ingéniosité qu’a mise Brahim Tazaghart pour faire de l’endogamie un trait inhérent au clivage ethnopolitique Berbères/ Arabes, est remarquable. C’est la première fois, -corrigez-moi si je me trompe- qu’un auteur d’Afrique du Nord soulève la question berbère sous l’angle d’un conflit latent entre deux communautés. Habituellement le berbérisme se heurte à des autorités politiques, dans le cadre d’un parti, (comme lors de la crise dite berbériste de 1949), ou dans le cadre de l’État indépendant.

N’empêche, Nayla et Mehdi entament un dialogue nourri de respect mutuel, où chacun va pratiquer l’anamnèse historique, voire mythique, remontant ainsi jusqu’à Sheshonq (Chachnak) pharaon d’Égypte d’origine berbère, en passant par la conquête arabe et la française. Subrepticement, le discours amoureux se laisse happer par le discours idéologique.

Aussi, ces questionnements sur le passé sont-ils sensés apporter des éléments de réponse à la situation de forclusion dans laquelle se débattent les deux amoureux. L’invasion des Banou-Hilal y prend une place centrale du fait que Nayla soit originaire des Ouled-Naïl, qui sont connus pour être leurs descendants. La quête spéléologique dans les tréfonds du Moyen-âge, permet à Brahim Tazaghart d’insister sur une séquence historique très peu connue, et qui a beaucoup à voir avec le mythe kabyle, dont le fonctionnement a été grandement analysé par l’historien français Ageron 1.

Cette séquence historique qui nous est connue grâce, notamment, à Ibn Khaldoun traite de l’islamisation des Banu Hilal par les Berbères. Or cet épisode fut ignoré à la fois par la mythologie coloniale et l’idéologie nationaliste algérienne.
Rappelons très rapidement au risque de caricaturer, que le principal trait de ce mythe consiste à présenter les Kabyles comme étant très ignorants de la religion (comparativement aux Arabes)2.

Ageron pensait, du reste, que la naissance de ce mythe avait précédé de quelques années seulement le débarquement français de Sidi Ferruch, ne s’avisant pas qu’en réalité il plongeait ses racines dans l’idéologie arabo-islamiste véhiculée par les conquérants musulmans lors des premiers moments de la conquête arabe. Au reste, l’islamisation des populations conquises avait toujours paru à ces derniers comme une œuvre inachevée, les nouveaux convertis étant toujours suspectés d’être des musulmans non accomplis. La principale innovation introduite par les Français dans ce mythe, se situe dans l’affectation d’une origine européenne aux Berbères, ce qui les rendait à leurs yeux, aisément assimilables (comparativement aux Arabes).

D’une lecture agréable, Nayla est un roman, certes court, mais dense. Et ce n’est pas le moindre des mérites de ce livre que d’avoir su inverser le mythe berbère, en rappelant une vérité occultée. Une des lectures possibles qu’on peut en tirer, c’est que la réconciliation amoureuse passe par la remise en cause du politique.
Larbi Graïne

Nayla de Brahim Tazaghart, Ed. Tira, Bejaia, 2015, 153 pages.

NOTES :

  1. Voir Charles-Robert Ageron, « Le « mythe kabyle » et « la politique kabyle » in Les Algériens musulmans et la France, tome I, PUF, Paris, 1968, p. 267-292 ; « La politique kabyle de 1898 à 1918 », tome II, p. 873-890.
  2. Sur le regard des Arabes envers les Nord-africains, voir Mohamed Tilmatine, « L’image des Berbères chez les auteurs arabes de l’époque médiévale », Revue Awal, n°40-41, 2009-2010, pp. 171-183.

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