Tamacahut Taneggarut de Lynda Koudache

Ed. Routnahcom, Tizi-Ouzou, 2016, 315 pages

Puissance du délire

14 mai 2017

Première femme de Lettres de langue kabyle, Lynda Koudache est native d’Ait Ouacif en Kabylie (Algérie). Tamacahut taneggarut est son second roman après Aɛcciw n tmes (Nid de feu), paru en 2009.

Lynda Koudache, juin 2018. © Capture d’écran BRTV

Lynda Koudache a, peut-être commis avec Tamacahut Taneggarut que l’on pourrait traduire par Le Conte ultime, le roman kabyle le plus kabyle de toute la néo-littérature berbère actuelle. Tant du point de vue de la forme que du fond, ce roman puise sa source d’inspiration de l’art de conter les histoires dont les vieilles femmes de Kabylie ont la maîtrise. Pour autant, cette œuvre aborde des thèmes d’une complexité inouïe et l’on peut s’étonner du fait de les voir tolérer dans un pays qui n’arrête pas de s’enfoncer dans une bigoterie sans nulle autre pareille. Est-ce parce que c’est écrit dans une langue jugée de faible diffusion ou est-ce parce que, l’habillage fictionnel a si bien fonctionné, qu’il n’a rien laissé voir ?

Le roman s’ouvre sur une naissance douloureuse, celle de l’héroïne Chabha Nat Bannen qui, s’en étant souvenue, raconte elle-même l’événement. Sur plus de 250 pages, elle s’auto-peint plutôt comme une figure de la déchéance, vouée à la décrépitude. En somme au fil du récit, le lecteur se rend compte qu’il a affaire à la pure figure féminine de l’anti-héros, qui n’a aucune prise sur son destin, qui voit tous ses projets contrariés et qui sort vaincue de toutes les épreuves. La narratrice est entraînée dans une sorte de prédestination maléfique contre laquelle il serait vain de lutter et ce d’autant plus qu’elle a été elle-même élevée dans la culture du maktoub, culture selon laquelle, comme qui, dirait Jacques le Fataliste, « tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut ».

Il n’empêche, cette fiction ne déroule pas une histoire plate. Loin s’en faut. Elle se lit comme un conte philosophique, au sens voltairien du terme, où l’allégorie le dispute à l’absurde, le sordide au suspense. La mère de Chabha est un personnage remanié par rapport à son modèle l’Ogresse, la fameuse Teryel (connue par ailleurs sous le nom de Tergu ou de Tamza). Face à sa mère, la fille est captive d’une relation à la fois, tyrannique, aliénante et anthropophagique. Née dans des conditions troubles, elle est rongée par le doute quant à sa filiation et sa place dans la famille. La maison, elle-même est un bouge obscur sur lequel pèsent moult interrogations. Des hommes rôderaient autour… Suggérant plus qu’il n’affirme, le texte cultive l’intrigue.

La prose empreinte d’un lyrisme élégiaque et exubérant, témoigne d’un travail soutenu sur l’écriture. Le lecteur est emporté par une virtuosité prosodique sans fin, un déferlement de phrases ininterrompues, un crescendo de syllabes ciselées et un ouragan de mots hallucinés. Tout déborde, c’est un flot de mots, une coulée verbale fluide et fiévreuse.

Après une série de déconvenues et de déboires, couronnés par une expérience de la folie et de l’asile, Chabha, renaît dans une nouvelle peau, en se découvrant une vocation pour la poésie, voire pour l’écriture. Elle y est aidée par Idir, un écrivain auquel la jeune femme se lie d’amitié. Ce dernier lui fait découvrir sa bibliothèque, un antre fabuleux qui regorge de livres de toutes sortes. Idir a à son actif plusieurs œuvres dont une non publiée : Tamacahut Taneggarut. Cependant, atteint d’une maladie mentale, il meurt. Mais, quand Chabha publie son roman, elle lui donne le même titre que celui de son défunt ami. Qu’importe si c’est une usurpation ou non. La fiction se clôt, du reste, sur une polémique entre deux chercheurs universitaires, l’un attribuant l’œuvre à Chabha et l’autre à Idir.

Un roman sur l’écriture

A vrai dire, sous le prétexte de raconter sa vie, la narratrice (Chabha) relate les conditions de la naissance de la littérature scripturale kabyle. Le roman accorde une place centrale à la folie et à la bâtardise (prises dans le sens positif des termes). La figure du bâtard a ceci de particulier qu’elle souligne l’imposture de sa propre filiation. Du coup, l’espace romanesque permet une seconde naissance. Il y a de multiples liens, notamment les mises en abyme, qui conduisent de la figure du bâtard et du fou à celle de l’écrivain, décrit comme un personnage en quête de liberté et d’aventure intellectuelle. Il va sans dire que l’auteure recourt à moult procédés pour se revendiquer d’une nouvelle filiation qui n’est autre que la filiation littéraire, laquelle va de Taos Amrouche à Apulée.

Larbi Graïne

Tamacahut Taneggarut de Lynda Koudache, Ed. Routnahcom, Tizi-Ouzou, 2016, 315 pages. Prix Assia Djebar.

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